Le 30 janvier 1999, un colloque s'est tenu au CNBDI
d'Angoulême (Centre National de la Bande
Déssinée et de l'Image) dont le sujet
était " 50 ans de censure ? "
Les éléments de ce colloque ont
été repris dans le livre " On tue à
chaque page ! " y figure la conférence donnée
par Bernard Joubert sur " Elvifrance et le
dépôt préalable " (qui résumait
deux articles précédemment écrits pour
le Collectionneur de bandes dessinées). Une main
anonyme a glissé dans l'article de B. Joubert des
modifications de son texte (insinuation sur la piètre
qualité des publications Elvifrance ).
Au cours de plusieurs conversations ( fin
décembre 2000 ) Bernard Joubert, m'a dit avoir fait "
une mise au point sur "On tue à chaque page !",
parue dans le dernier "Critix". Thierry Groensteen a aussi
fait paraître une note dans "9e art", la revue du
CNBDI, pour dénoncer ce qui était
arrivé et expliquer qu'il se désolidarisait
des modifications apportées à mon texte. Que
les amateurs d'Elvifrance sachent que mes propos ont
été trahis ! "
"9e art" n°5 (janvier
2000)
"Errata et mises au point
(...)
Profitons de cette occasion pour regretter qu'une main
anonyme ait dénaturé le texte de Bernard
Joubert qui figure dans l'ouvrage On tue à chaque
page !, consacré à la loi du 16 juillet 1949
sur les publications destinées à la jeunesse,
et coédité par le CNBDI et les Editions du
Temps. Entre le manuscrit corrigé par Thierry
Groensteen et le texte publié, des commentaires
(d'ailleurs en parties erronés) dévalorisant
les publications d'Elvifrance ont été
introduits. Bernard Joubert et Thierry Groensteen se
désolidarisent de ces modifications apportés
sans leur consentement et en contradiction avec les opinions
de l'auteur."
Article paru dans "Critix"
n° 11, automne 2000]
RETOUCHAGES, RETOUCHAGES…
Ce n'est pas agréable à dire, mais je renie
le texte qui porte ma signature dans On tue à chaque
page ! Ce livre constitue, pour une bonne part, les actes du
colloque qui s'est tenu au C.N.B.D.I., en janvier 1999. Y
figure donc la conférence que j'avais donnée
sur " Elvifrance et le dépôt préalable "
(qui résumait deux articles
précédemment écrits pour le
Collectionneur de bandes dessinées), mais avec
tellement de modifications, de coupes et d'ajouts, que je ne
peux endosser la paternité de ce texte, avec lequel
je me retrouve même parfois en désaccord.
Les choses se sont déroulées ainsi. J'ai
envoyé à Thierry Groensteen une
retranscription fidèle de ma conférence.
J'avais volontairement conservé un ton parlé -
comme on recopie les propos d'une interview -, ainsi que les
petites plaisanteries que j'essaie de toujours glisser dans
ce genre d'intervention publique pour réveiller
l'attention de l'auditeur. Thierry a pensé, avec
juste raison peut-être, que cela nuirait à la
cohérence de l'ouvrage et a rewrité ma syntaxe
désinvolte et éliminé mes
facéties. Cette version corrigée et
maquettée m'a été soumise. Je
n'étais pas très satisfait du résultat,
mais je me suis dit " ne faisons pas chier le monde " (c'est
ainsi que je m'exprime quand Titi Groensteen ne me surveille
pas) et j'ai donné mon accord pour publication.
Problème : est encore intervenu, après
cela, Jean-Paul Gabilliet, le directeur de collection, qui
ne s'en est pas tenu, pour sa part, qu'à des
retouches formelles. Sa nouvelle version ne m'a pas
été soumise - un oubli de l'éditeur,
semble-t-il -, et j'ai découvert le résultat
en ouvrant le livre imprimé. Trois modifications me
sont intolérables, parmi divers tripatouillages
riches en coquilles :
- me faire dire que les bandes d'Elvifrance
étaient " produites pratiquement à la
chaîne en atelier par des tâcherons " ;
- que " les prix que Bielec payait ces bandes
étaient eux-mêmes très bas " ;
- supprimer des citations de Wolinski (dans Charlie
mensuel) et Delfeil de Ton (dans le Nouvel observateur), qui
prenaient la défense d'Elvifrance, en 1973, pour ne
conserver, en ouverture plutôt qu'en conclusion,
qu'une citation à charge, celle de Raoul Dubois.
Il me faut donc répondre à un article dont
je suis l'auteur.
Les bandes Elvifrance, n'étaient pas
fabriquées en usine mais très classiquement
produites par un scénariste et un dessinateur
attachés à leur série. Giorgio Pedrazzi
écrivait les scénarios de Mortimer et Victor
De La Fuente les dessinait. Pippo Franco écrivait les
scénarios de Sam Bot et Raoul Buzzelli les dessinait.
Le dessinateur avait éventuellement un assistant ou
un encreur - un système similaire à celui des
meilleurs comic books, et qui n'a rien de méprisable
en soi - et les styles de Buzzelli, Magnus, Manara, Jesus
Duran, De La Fuente, etc., se reconnaissent aisément
par les amateurs. Je n'ai jamais prétendu que ces
fascicules populaires égalaient la chapelle Sixtine,
mais, pour ma part, comme je le signalais d'ailleurs dans le
CBD, j'ai une affection particulière pour Dino
Leonetti et Mario Janni. D'autres, plus nombreux,
s'enthousiasment pour Leone Frollo ou Stelio Fenzo. Pour un
public non spécialiste, je m'étais bien
gardé d'entrer dans ces considérations. Tout
ce qu'on pouvait éventuellement dire pour
suggérer à des lecteurs néophytes qu'il
s'agissait d'œuvres mineures, c'était de
préciser qu'elles étaient produites rapidement
et anonymement. Un tel commentaire n'aurait pas eu le
goût de crachat.
Concernant le coût de ces bandes pour Georges
Bielec, j'ai épluché de fond en comble ce qui
reste des archives Elvifrance, et n'ai trouvé aucune
information à ce sujet - uniquement des documents
concernant les ventes et le chiffre d'affaire, qui furent
excellents pendant de nombreuses années. De nombreux
cas de figure peuvent s'envisager, et je me serais donc bien
gardé, quant à moi, de soutenir une
thèse plutôt qu'une autre, sans preuve à
l'appui.
Les citations de Wolinski et D.D.T., m'a expliqué
depuis Jean-Paul Gabilliet, avaient des accents trop
populistes. (Wolinski, c'est vrai, utilisait les mots "
marrer " et " conneries ".) J'ai donc noté sur mes
tablettes de journaliste inculte : il y a des documents
historiques propres, et d'autres sales, et la rigueur
universitaire consiste à poser les premiers sur le
buffet et cacher les seconds sous le tapis. Universitaire
rigoureux, c'est un peu comme femme de ménage.
Plus sérieusement, en fait, j'ai surtout eu
l'impression qu'on cherchait, sous ma signature, à
rabaisser Elvifrance et à conforter ainsi la position
d'anciens membres de la Commission présents au
colloque. Cela s'est ajouté à de multiples
petits incidents, sûrement involontaires, mais qui
n'ont cessé de me mettre mal à l'aise par leur
accumulation. Autant au colloque que dans le livre , j'ai
trouvé que les conséquences de la loi et son
application concrète depuis cinquante ans
étaient insuffisamment traitées. N'aborder
l'article 14, et ses milliers d'interdictions, que par deux
cas particuliers, Elvifrance et Hara kiri, tout en
consacrant une dizaine d'interventions - toutes
remarquables, je tiens à le souligner - aux origines
ou à des sujets périphériques, me
paraît un sommaire désagréablement
déséquilibré . Simple revue, le
n°4 de 9e art, traitait le sujet de façon bien
plus équitable. Une personne, me dit-on, devait
écrire sur les interdictions de romans. Elle est
tombée malade. Si les microbes s'y mettent aussi !
J'ai également vivement regretté qu'au
débat, repris dans le livre, ne puissent
aisément s'exprimer que des membres ou d'anciens
membres de la Commission, les chercheurs étant
éparpillés dans la grande salle. Entendre ces
commissaires dresser un bilan globalement positif de leur
action et nous expliquer, de plus, comment ils avaient
vaillamment lutté contre les méchants censeurs
qui s'étaient glissés parmi eux pouvait amuser
cinq minutes. Mais leur laisser ainsi toute liberté
pour écrire l'histoire à leur convenance, puis
reproduire ces propos dans un livre de
référence, me gêne. Il m'est difficile
d'entendre Raoul Dubois prétendre, sans être
contredit, que, pour lui, l'article 14 " est nul et non
avenu, et l'a toujours été ", alors qu'il fut,
durant quarante ans, l'un de ceux qui
réclamèrent le plus son application. Contre
une commission qui voulait tolérer Barbarella
à cause de son prix élevé, il fut celui
qui intervint pour réclamer pas d'indulgence !, celui
qui s'opposait encore à la libération
d'Histoire d'O dans les années 70 (dix-sept ans
après son interdiction, à laquelle il avait
pris part, et contre l'avis du représentant du
ministre de l'Éducation nationale, pourtant peu
enclin à défendre les pornographes), celui qui
s'attaquait à une revue sans contenu érotique
comme Arcadie parce qu'elle " était
rédigée à l'intention des homosexuels
", celui qui amenait en réunion des photos de
kiosques à journaux qu'il soupçonnait de
commercialiser des publications interdites…
Gébé fut évidemment excessif quand,
fulminant, il traita les membres de la Commission de nazis
(intervention coupée dans le livre ), mais à
prétendre avoir été les garants de la
liberté d'expression, nos experts en moralité
publique avaient, pour le moins, une très
agaçante attitude à la Papon. (Je sauvais des
journaux en cachette, et j'avais même un ami qui
s'appelait Choron…)
On pourra me rétorquer : pourquoi ne pas
être intervenu ? C'était difficile. Il fallait
se procurer un micro. Je me souviens avoir pu le faire au
moins une fois, pour reprendre Raoul Dubois lorsqu'il
prétendait que les sanctions administratives
préservaient des sanctions judiciaires (et que, donc,
la loi de 49 avait quand même du bon). Ce qui est
faux, les unes s'accommodant très bien des autres -
et j'aurais pu ajouter, puisqu'il semblait soudain avoir des
trous de mémoire, que, bien des fois, il avait
lui-même réclamé l'interdiction de
livres ainsi que leur poursuite pour outrage aux bonnes
mœurs. Ses propos ont été conservés,
pas les miens. Un détail, sans grande importance,
mais qui, additionné aux autres, me fait, au finale,
considérer On tue à chaque page ! d'un œil
suspect.
Bernard JOUBERT
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