Censure et BD

Vous trouverez sur cette page :

 

 

1- “Anasthasie a encore frappé ! ”

2- Incroyable mais vrai !

3- Dehors, les yankees !

4- Les interdits d'Elvifrance

5- Censure, la FNAC résiste !

 

( infos extraites du site Comics-World Comics Daily )

 

 

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La loi du 16 juillet 1949

 

"Anasthasie a encore frappé !", disait-on autrefois pour expliquer certaines coupes franches dans les livres et les revues...

Tout ça semble loin ! Et pourtant, il suffit d'ouvrir n'importe quel album de BD pour s'apercevoir que l'ombre de la censure plane encore au-dessus du neuvième art...

Une mention austère (et bien souvent mystérieuse aux yeux des jeunes et moins jeunes lecteurs) figure toujours aujourd'hui en première ou dernière page, sous le copyright de l'éditeur : "Déposé au ministère de la Justice, Paris (Loi n°49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse)." Quelle est donc cette loi et, surtout, quelles en furent les motivations et les conséquences ? C'est ce que nous allons tenter de comprendre cette semaine, à travers un mini-dossier que chacun pourra compléter en se plongeant dans la lecture salutaire de deux ouvrages de référence en matière de censure : Images interdites d'Yves Frémion et Bernard Joubert (éd. Syros/Alternatives) et On tue à chaque page ! coordonné par Thierry Crépin et Thierry Groensteen (éd. du Temps/ Musée de la bande dessinée)...

 Quelles motivations ? 

Au moment où elle fut votée, une foule de motivations semblait justifier cette loi. Marquée par quatre années d'Occupation, la France cherchait alors à se reconstruire sur de nouvelles valeurs, afin que les jeunes générations ne retombent pas dans la barbarie et l'obscurantisme passés. (C'est en tout cas l'état d'esprit dans lequel se trouvait, selon son propre aveu, l'un des promoteurs de cette loi, M. René Finkelstein.) Il fut donc décidé de créer un Comité de lecture pour vérifier le contenu des publications destinées à la jeunesse. Celles-ci ne devaient en aucun cas présenter sous un jour favorable le "banditisme", le "mensonge", le "vol", la "paresse", la "lâcheté", la "haine", la "débauche" et (à partir de 1954) les "préjugés ethniques".

 Conservatisme et Protectionnisme...

La recrudescence de la délinquance juvénile observée à l'époque tendait à justifier, aux yeux de l'opinion, de telles mesures : professeurs et éducateurs jetaient encore un regard plein de suspicion sur les "illustrés", qu'ils considéraient souvent comme des instruments "d'analphabétisation de la jeunesse"... Derrière les intentions morales avouées (louables en apparence, au lendemain des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, mais qui n'étaient, en fait, pas très éloignées du conservatisme de Vichy) et les visées strictement "pédagogiques" se dissimulaient une collusion d'intérêts n'ayant souvent que bien peu de rapport avec les professions de foi affichées... Les interdictions et/ou les censures dont furent victimes à la fin des années 50, les bandes dessinées de Pierre Mouchot (alias Chott, auteur et éditeur lyonnais condamné à un mois de prison parce qu'il avait dessiné un squelette et montré un peu de violence dans ses histoires…), mais aussi Tarzan et Le Fantôme du Bengale sont la preuve que les motivations des membres de la Commission dépassaient bien souvent le cadre de la "protection de la jeunesse": il y avait là, sous le voile hypocrite de la moralité, un véritable abus de protectionnisme (alimenté par un antiaméricanisme caractéristique de l'esprit cocardier), mais aussi une volonté à peine masquée d'éliminer la concurrence. En effet, les enseignants et les éducateurs n'étaient pas les seuls à siéger à la Commission de surveillance : quelques professionnels bénéficiaient également de ce privilège. Pour les éditeurs, la fonction de membre de la Commission s'avéra bien souvent pratique pour se débarrasser de rivaux encombrants...

 

 ''Le surhomme Tarzan n'est pas un exemple pour la jeunesse'', s'exclamaient les antiaméricains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale...

Paul Winkler (créateur d'Opéra Mundi et éditeur du Journal de Mickey) et Cino Del Ducca (patron des éditions Mondiales, qui publièrent, entre autres, Tarzan) en furent pour leurs frais. Le succès de leurs publications de BD américaines était si grand qu'il y a fort à parier que l'interdiction des héros masqués et costumés fut en partie promulguée pour leur nuire directement... En fait, le véritable problème posé par cette loi toujours en vigueur est, comme l'analyse fort justement Jean-Paul Gabilliet, le glissement sémantique qui s'est opéré entre "publications destinées à la jeunesse" et "publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse". Sur ce point précis (qui figure dans l'article 14), la loi du 16 juillet 1949 est en complète contradiction avec la notion de liberté d'expression. L'impact de cette loi, au-delà des interdictions qu'elle prononça, fut énorme sur la production franco-belge : la crainte de la censure corseta pendant des années la bande dessinée franco-belge. L'absence de femmes et de violence dans les séries les plus célèbres est une conséquence directe de l'existence de la Commission de surveillance des publications destinées à la jeunesse. Mais cette dernière n'empêcha pas pour autant les auteurs de BD de livrer (envers et contre tout) une flopée de chefs d'œuvre, tout comme le Code Hayes n'empêcha pas les réalisateurs américains de donner le jour à de grands films...

Benoït Mouchart

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Mis en ligne le 11/07/2000

"Incroyable mais vrai !", une évocation des BD les plus innocentes qui furent frappées d'interdiction...

Sources : Images interdites d'Yves Frémion et Bernard Joubert (éd.Syros/Alternatives) et On tue à chaque page coordonné par Thierry Crépin et Thierry Groensteen (éd. du Temps/ Musée de la bande dessinée), ainsi que la revue Le Collectionneur de bande dessinée.

Incroyable mais vrai !

" Aux innocents les mains pleines " semble avoir souvent été l’adage préféré des censeurs…

L'ire de la Commission de surveillance des publications destinées à la jeunesse s'est souvent abattue sur des bandes dessinées dont on se demande bien aujourd'hui ce qu'elles pouvaient avoir de pernicieux ou d'amoral… Au chapitre des incongruités les plus célèbres, il fut réclamé à Franquin de gommer les revolvers que tenaient ses personnages dans Spirou et les héritiers. Résultat : ses héros étaient menacés par des index pointés...

Lucky Luke trop violent...

Dans le même ordre d'idée, Lucky Luke, bien qu'il n'ait jamais fait couler une goutte de sang en plus de 50 années d'aventures, fut un jour jugé beaucoup trop violent... En 1962, Morris et Goscinny virent leur album Billy the Kid interdit à l'importation en France, parce qu'une image de cette histoire représentait Billy, bébé, téter un revolver... Quel mauvais exemple pour les jeunes lecteurs !

Boule et Bill : incitation à la cruauté...

Plus surprenante encore fut l'interdiction levée contre un album de… Boule et Bill ! Dans la première édition de 60 gags de Boule et Bill#2, on voyait le chien Bill faire l'hélicoptère avec ses oreilles. Ce gag, plutôt attendrissant, fut qualifié par la Commission d'acte de torture envers un animal, et, par voie de conséquence, d'incitation à la cruauté…

Des éditeurs belges...

Les éditions Dupuis furent souvent dans le collimateur des Censeurs, moins pour la violence et les aspects " amoraux " des bandes dessinées qu'elles publiaient que pour… leur nationalité ! Dupuis, tout comme Le Lombard et Casterman est un éditeur belge, ce qui, dans l'esprit protectionniste de la Commission de surveillance, était une tare rédhibitoire…

Tout devint un prétexte pour empêcher les albums imprimés en Belgique de traverser la frontière. Sans doute sous l'impulsion des communistes, la Commission chercha des noises à Buck Danny pour les albums (il est vrai plutôt pro-américains) Ciel de Corée et Avion sans pilote. Les commissaires trouvèrent également déplaisantes les caricatures de policiers de Maurice Tillieux dans une enquête de Gil Jourdan : Popaïne et vieux tableaux… Mais les éditions Dupuis n'eurent malheureusement pas le triste monopole des interdictions à l'importation.

 ''incitation à la haine et à la violence''

 Lorsqu'Alix passa des éditions du Lombard à Casterman, deux albums de Jacques Martin furent menacés d'interdiction à l'étalage… " A cette époque, il y avait de véritables règlements de compte entre la France et la Belgique, se souvient aujourd'hui Jacques Martin. Les Légions perdues et La Griffe noire ont été interdits à l'étalage pour ''incitation à la haine et à la violence''… On me reprochait d'avoir dessiné un cagoulard sur la couverture, et on voyait dans ces histoires des insinuations directes à la guerre d'Algérie… C'était n'importe quoi, mais ces livres, avec une telle sanction, étaient voués au tombeau ! Je m'en suis ouvert à René Goscinny, qui est allé lui-même devant la Commission, pour que soit levée la censure. Il a obtenu gain de cause, pour mon plus grand soulagement ! "

Aux éditions du Lombard, les aventures de Blake et Mortimer connurent les mêmes soucis : selon les commissaires, les histoires de Jacobs étaient, elles aussi, des " incitations à la haine et à la violence "… Tant de mauvaise foi, concernant des bandes dessinées manifestement peu propices à l'incitation à la débauche, ne trompe pas : derrière les décisions de la Commission de surveillance se dissimulaient bien souvent des arguments de censure économique très éloignés des motivations premières de la loi du 16 juillet 1949. Le sort qui fut réservé aux bandes dessinées américaines l'atteste encore plus fortement…

Benoît Mouchart

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''Dehors, les yankees !''

Les plus tristes mésaventures des super-héros ont eu lieu en France: gouachages, coupes sombres et censures...

Sources : Images interdites d'Yves Frémion et Bernard Joubert (éd. Syros/Alternatives) et On tue à chaque page coordonné par Thierry Crépin et Thierry Groensteen (éd. du Temps/ Musée de la bande dessinée), ainsi que la revue Le Collectionneur de bande dessinée.

 Lug : Fantask... et Marvel

Il ne faudrait pas croire que l'antiaméricanisme dont fit montre la commission de surveillance à l'égard des publications de Cino Del Ducca et Paul Winkler dans les années 50 fut un fait unique dans l'histoire de l'édition des comics en France : la maison Lug (ancêtre direct de l'actuel Sémic) connut, elle aussi, bien des soucis avec la censure à la fin des années 60 et 70. Les commissaires s'acharnèrent plus particulièrement contre la série Les Quatre Fantastiques. Lancé en février 1969, le magazine "Fantask" remportait un joli succès en publiant les aventures du quatuor mutant… Les Quatre Fantastiques ne sont pas des super-héros comme les autres : ils ne se cachent pas derrière une double identité et rencontrent des problèmes moins " extraordinaires " que ne peuvent l'être leurs exploits. Comme l'analyse fort justement Jean-Paul Jennequin, les Quatre Fantastiques " n'étaient plus une simple panoplie que le lecteur était invité à endosser mais des êtres réels, proches du quotidien, amenés à vivre des situations hors du commun ".

Mais la " science-fiction terrifiante " et les " visions cauchemardesques " mises en scène par Jack Kirby n'eurent pas l'heur de plaire aux thuriféraires de la loi du 16 juillet 1949. Suite à un courrier de la Commission, "Fantask" ne put jamais éditer son huitième numéro. Lug ne s'avoua cependant pas vaincu pour autant et commença à publier en mars 1970 un nouveau périodique reprenant les aventures des Quatre Fantastiques : "Marvel". Un an plus tard, cette revue subissait une interdiction à la vente aux mineurs…

 Auto-censures...

Échaudées par ces expériences malheureuses, les éditions Lug se montrèrent par la suite beaucoup plus prudentes, et allèrent même, pour ne plus essuyer les foudres de la Commission, jusqu'à maquiller par leur propre soin tous les éléments qui auraient pu poser problème. " En fait, expliquait en 1985 un responsable de Lug à Bernard Joubert et Yves Frémion, c'est le genre fantastique et super-héros qui n'est pas admis. On lui reproche de ne pas préparer les jeunes au monde d'aujourd'hui. " Pourtant, si l'on regarde de près certains comic-books, on se rend bien compte qu'il y est parfois question de certains problèmes contemporains d'envergure, parmi lesquels vient en tête la drogue…

Des seringues transformées en... balais !

Sauf dans les versions françaises éditées par Lug : lorsque Peter Parker (alias Spiderman, lorsqu'il revêt son costume rouge et bleu) y est confronté à de jeunes toxicomanes, les seringues de ces derniers sont miraculeusement transformées en…balais !

Chez Lug donc, s'installe un véritable atelier de retouchage, où le dessinateur-retoucheur Roger Médina gommait par anticipation toute infraction à la loi. Gérard Thomassian, grand connaisseur des petits formats (auteur d'une encyclopédie auto-éditée en plusieurs volumes), reconnaît que "la pression de la censure était tellement forte dans les années 1950/70 que les éditeurs pratiquaient une auto-censure préventive systématique." Même les bandes estimées "bon enfant" n'échappaient pas aux ciseaux de l'éditeur Lyonnais. "Dans les années 70, reprend Thomassian dans un autre ouvrage, les super-héros supplantèrent, dans l'esprit de la Commission, les pockets sur le plan de la "nocivité". Force est de constater aussi que cette auto-censure, pratiquée vaille que vaille, persista au-delà des années 80. Dans le numéro 88 des "Cahiers de la BD", Joubert constatait encore amèrement cette réalité. "Les planches américaines "retouchées" pour les éditions populaires françaises se comptent par milliers. On supprime les coups de poing, les onomatopées, les larmes, le sang, la sueur… On arrête des séries, on saute des épisodes d'auteurs comme Jack Kirby, Frank Miller et Bill Sienkiewicz (…) Les vieilles habitudes ont la vie dure", termine t-il alors. En décembre 1980, ce fut au tour de "L'inattendu" d'être rayé de la carte des kiosques. A toutes ces perturbations notoires (gouachage des armes, suppression de certaines cases, images redessinées…) s'ajoute également un remontage bien français des planches d'origine, pour les adapter au format de publication. Après ça, que reste-t-il, vous demandez-vous ?… Dans certains cas, pas grand chose, un produit final qui n'est qu'un "reflet pâle et déformé de l'original" (dixit Thomassian). Mais voyons le bon côté des choses. Ces perles rares de publications sont devenues aujourd'hui de véritables collectors. Certains, comme "Marvel" ou "Fantask", très recherchés et très cotés. D'autres beaucoup moins. Et ils augurent de joyeux moments ludiques en perspective. Du genre, cherchez les sept erreurs entre le comic initial et sa v.f.. A bon entendeur…

Christian Marmonnier et Benoît Mouchart

Sources : Images interdites d'Yves Frémion et Bernard Joubert (éd. Syros/Alternatives) et On tue à chaque page coordonné par Thierry Crépin et Thierry Groensteen (éd. du Temps/ Musée de la bande dessinée), ainsi que " Les Fantastic Four en France " de Jean-Paul Jennequin (in Les Inhumains sont parmi nous, éditions Bethy) et les volumes de L'Encyclopédie des bandes dessinées de petit format" (Librairie Fantasmak, 17 rue de Belzunce 75010 Paris).

  Mis en ligne le 12/07/2000

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Les interdits d'Elvifrance

"Terrificolor", "Sam Bot", "Isabella", "Lucrèce" résonnent dans la mémoire collective des quadras d'aujourd'hui. Mais savent-ils que leur éditeur fut le plus visé de toute l'histoire de la censure française ?

Dans toute l'histoire de l'édition française du XXe siècle, l'éditeur qui a été le plus interdit se nommait Georges Biellec. Durant 20 ans, il mena un combat sans merci contre les censeurs qui s'acharnaient sur ses publications.

776 interdictions...

De 1972 à 1989, en effet, Elvifrance, sa maison d'édition, essuya 776 interdictions, allant de l'interdiction de niveau 1 (interdiction de vente aux mineurs) à l'interdiction de niveau 3 (interdiction de vente aux mineurs, à l'exposition et à toute publicité), la plus meurtrière… Celle qui mettait généralement un terme à la vie d'un magazine.

Un subterfuge cocasse...

Dès 1973, à la suite d'une série de premières interdictions, ce téméraire éditeur fut dans l'obligation de déposer ses parutions au minimum trois mois avant leur mise en circulation, afin que la Commission de Surveillance du Ministère puisse juger de celles-ci. D'autres auraient mis la clé sous la porte : pas Biellec. Il faut dire que ce dernier avait inventé un subterfuge des plus cocasses pour contourner la menace qui pesait sur sa maison et son métier. Dans un article sur le cas de ce singulier entrepreneur (Le Collectionneur de Bandes Dessinées # 80, été 1996), Bernard Joubert nous révélait le processus mis au point par Biellec : "Pour parer à ce risque, Elvifrance adopte l'extraordinaire solution suivante : ne faire imprimer, dans un premier temps, que des micro-tirages d'une trentaine d'exemplaires ! Si le délai légal de trois mois s'écoule sans que la Commission de Surveillance ne se manifeste, le tirage définitif est alors lancé à partir des plaques offset déjà prêtes. Mais si une interdiction rend le pocket impossible à commercialiser, les frais s'arrêtent là. L'opération se solde par une perte financière considérable, mais qui ne mène pas l'entreprise à la catastrophe."

De cette manière, et en présentant à la Commission un nombre supérieur de parutions (jouant ainsi sur des titres de "réserve"), Elvifrance put survivre et continuer, bon gré, mal gré, ses multiples séries et diverses collections. "Goldboy" (frappé par 5 fois), "Jungla" (3 fois), "Luciféra" (4 fois), les "Contes malicieux" (4 fois) ont pu ainsi persévérer, tout en conservant la part de "charme" et d'humour qui les caractérisait. Côté humour, la panacée revient sans aucun doute aux slogans et textes d'annonces qui ponctuaient les fins de volumes. C'était même le fer de lance de ces pockets : "La nouvelle BD EF qui ne décoiffe que ceux qui portent des bigoudis pour dormir la nuit" présentait la série "Les drôlesses" en précisant "PD s'abstenir !"... "Pour échapper aux conneries politico-merdeuses qui cherchent à nous transformer en pions ou en marpions (sic, ndlr), c'est selon." annonçait un numéro de "Salut les bidasses"...

  Un humour très "léger" et des scènes de plus en plus gore, pour certains titres ("Terrificolor", par exemple), ont probablement durci la situation entre Biellec et les membres de la Commission de Surveillance. Mais il n'y a pas que cela. "Le fait que Georges Biellec, remarque Joubert (article cité), se soit conformé scrupuleusement à la loi et ait persisté à exister au grand jour fut interprété -avec raison d'ailleurs-, comme un défi. Les rapports, très vite, s'envenimèrent et la situation se bloqua (...) Les auteurs de bandes dessinées usant de la loi de 49 dans un but protectionniste ne furent pas les plus acharnés. Il y eut davantage à craindre des représentants d'associations familiales, de mouvements de jeunesse et de l'enseignement privé. Et les interventions de l'un d'eux, qui siégea plus de 40 ans à la Commission, furent sans ambiguïtés quant à sa volonté de voir disparaître Elvifrance."

Propagande délibérée...

Pour anecdote, citons le périodique "Hitler" qui fut frappé d'une interdiction de niveau 2 à la sortie de son deuxième numéro. C'est le commissaire zélé dont nous venons de parler qui, affecté de ne pas voir interdit le premier numéro, réussit à en faire parler à l'Assemblée Nationale. Là, en novembre 1978, Georges Marchais et Maurice Nilès (députés PC) interpellèrent le gouvernement pour qu'une "enquête sérieuse" soit menée sur ces publications soupçonnées de véhiculer une "propagande délibérée, quoique occulte". Durant ces deux décennies d'existence (ou de survie !), Georges Biellec a tenu bien haut l'étendard de ces "fumetti per adulti". Aujourd'hui, ces pockets ont disparu du paysage des "petits mickeys". Et, en dehors de rares articles sur Elvifrance, vous pouvez vous procurer une encyclopédie riche d'enseignement sur ces Petits Formats pour Adultes (éditée à petit tirage par Pressibus en 1996). Dans l'introduction de celle-ci, Alain Beyrand rappelle ce qui l'a motivé à amasser et lire ces pockets de gare : "Ce qui pousse à aller plus loin, c'est le plaisir esthétique d'avoir reconnu les "bons" des "communs" et des "mauvais", c'est la satisfaction d'avoir pimenté ses goûts habituels en plongeant dans des univers dépaysants, celui du stupre, de la vulgarité, de la paillardise, de la perversion ou de la fiction cynique. Si les pages réalisées par Frollo ou Hodges sont attrayantes, les dialogues de "Sam Bot", les couleurs de "Terrificolor", les dessins de Del Mestre peuvent déplaire de prime abord. Mais une bande dessinée doit être lue pour être jugée." Ce sera notre conclusion temporaire. Une conclusion que les censeurs du monde entier devraient apprendre par cœur.

Ch. Marmonnier

Sources : Images interdites d'Yves Frémion et Bernard Joubert (éd.Syros/Alternatives) et On tue à chaque page coordonné par Thierry Crépin et Thierry Groensteen (éd. du Temps/ Musée de la bande dessinée), Le Collectionneur de Bandes Dessinées" 80 et L'encyclo des PFA (Pressibus).

Mis en ligne le 13/07/2000

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Censure, la FNAC résiste !

Mis en cause, un journaliste-auteur monte au créneau...

Suite aux récentes affaires de censures en ou hors BD, Bernard Joubert, co-auteur d' ''Images interdites'' s'est renseigné sur les plaintes déposées par des associations ''bien pensantes'' à l'encontre de certaines FNAC contre la présence dans leurs rayons d'albums jugés ''pornographiques''. Et là, surprise un de ses livres est attaqué…

L'association Promouvoir, pour la " défense des valeurs judéo-chrétiennes et de la famille ", à l'origine de la plainte ayant entraîné le retrait des écrans du film Baise-moi, s'intéresse également à la BD. Au mois de mai, usant de la même loi (l'article 227-24 du Code pénal dit " loi Jolibois "), elle a porté plainte contre la FNAC d'Avignon pour la mise en vente d'albums contenant des " messages violents et pornographiques susceptibles d'être perçus par des mineurs ". Dans ce cas de figure, c'est un tribunal correctionnel qui aura à juger de l'affaire, le 27 septembre prochain.

Selon les services juridiques et de communication de la FNAC, sont parmi les titres concernés :

- les Eaux de Mortelune tome 1 (l'Échiquier du rat) de Philippe Adamov et Patrick Cothias, chez Glénat, qui fut prépublié dans la revue Circus et dont la première édition remonte à 1986 ;

- la collection Selen chez Vents d'Ouest ;

- les albums de Dany chez P&T Production (Ça vous intéresse ?, Où voulez-vous en venir ?, etc.) ;

- l'art-book les Carnets secrets de Janice d'Erich von Götha et Bernard Joubert paru à la Musardine fin 1999.

 

Par ailleurs, les Eaux de Mortelune et les albums de Dany figurent également parmi les BD à l'origine d'une plainte déposée contre les FNAC de Lyon, en juin, par l'association Action pour la dignité humaine. Rappelons qu'en décembre, cette dernière avait obtenu la condamnation du Musée d'art contemporain de Lyon à qui elle reprochait, dans le cadre de son exposition " Cent millions d'étoiles ", consacrée à la BD de science-fiction, d'avoir affiché des planches originales d'Ailleurs (Robert Gigi), Port Nawak (David Prudhomme chez Vents d'Ouest), The Pact (un fanzine de Reedman et Brun), l'Imploseur (Stan et Vince et Benoît Delépine chez Albin Michel) et Urban Games (Christophe Raufflet aux Humanoïdes Associés). Elle a procédé pour les FNAC comme avec le musée, faisant, en premier lieu, dresser un constat d'huissier. Le procès aura lieu en octobre.

On remarquera qu'autant dans les Eaux de Mortelune que les Carnets secrets de Janice sont tournés en dérision des représentants de la religion, de la même façon que, dans l'affaire du musée de Lyon, il était reproché au fort sage Port Nawak " qu'une femme dénudée [fasse] référence à sainte Marie-Madeleine ". On vit alors, fait incroyable (car sans fondement légal), la juge lyonnaise retenir dans ses motifs de condamnation le caractère " blasphématoire de certains dessins ".

La FNAC indique avoir maintenu l'ensemble des ouvrages en rayon, ce dont nous ne pouvons que la féliciter. L'action concertée de ces associations vise avant tout à susciter des réactions d'autocensure chez les libraires. Au-delà de ces procédures judiciaires, somme toute très peu nombreuses et au résultat incertain (il arrive que le plaignant, débouté, ait à payer l'ensemble des frais de justice), leur véritable travail de terrain se fait par le biais d'adhérents ayant pour mission de se plaindre systématiquement aux caisses des points de vente et d'écrire à la direction. Ne pas leur céder relève du devoir civique.

Bernard Joubert (coauteur des Carnets secrets de Janice)

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ndlr : Comics-World n'est pas libraire, mais nous ne céderons pas non plus aux intimidations. Aussi, nous vous proposons dès aujourd'hui de gagner ces 5 albums de Dany que la morale réprouverait.

 

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